Portrait de Isabelle Noleau, signé par Brigitte Gurfinkiel
Le coaching avec des chevaux… Un concept très original !
Depuis l’enfance, un de mes loisirs a été de « faire » du cheval. Maintenant je suis convaincue que mon cheval m’a en fait permis de garder l’équilibre dans le tumulte de la vie et m’a protégée du burn out professionnel. M’acceptant sur son dos, il m’a permis de prendre de la hauteur tout en m’offrant une prise de terre avec ses 4 pieds au sol. Il m’a aidée à garder un alignement et à vivre pleinement des moments sereins, à « être » plutôt que « faire ». Dès mes premiers coachings, j’ai proposé à certains clients de faire la dernière séance au vert, au milieu de mes 5 chevaux et j’ai vu leur cœur s’ouvrir. Puis la rencontre avec d’autres équicoachs m’a donné envie de poursuivre les expérimentations avec des chevaux.
Comment êtes-vous devenu coach ?
De formation, je suis ingénieure agroalimentaire. Lorsque je travaillais dans l’agro-alimentaire, dans les années 90, j’ai appris comment accompagner des équipes, en développant à la fois la performance de l’organisation et le potentiel de chacun. En fait, une équipe fonctionne comme un système vivant, et cela m’a passionnée. En 2009, je me suis formée au coaching. Ce monde qui s’ouvrait à moi était comme une « caverne d’Ali Baba » ! Avide de m’enrichir de ces trésors, j’ai suivi toutes les formations qui s’offraient à moi.
Vous dites que vos activités sont comme un piano dont vous utiliseriez plusieurs registres.
Le plus souvent j’accompagne des systèmes complexes où se mêlent des enjeux individuels et collectifs ce qui m’amène à co-construire avec les clients des approches combinées : coachings individuels, coaching de comités de direction, coaching d’équipes projet, facilitation en intelligence collective (au-delà de 20 personnes), médiation lorsqu’il y a des tensions, supervision individuelle ou collective de coachs, DRH, managers. J’interviens souvent avec d’autres coachs, qu’ils soient internes à l’organisation ou externes. Parfois les chevaux se joignent à nous pour accompagner le client !
En quoi le cheval apporte-t-il quelque chose de particulier ?
Le cheval apporte énormément d’informations dans un coaching, sans même qu’on ait besoin de monter dessus. Hypersensible, c’est un champion de la communication non verbale, de la perception du subtil. Comme un miroir, le cheval nous renseigne, à travers ses réactions, sur nos attitudes, nos intentions, nos gestes. Il se déplace en fonction de sa zone de confort : s’il est bien avec moi, il reste, sinon, il va ailleurs. Le cheval, qui plus est, est porteur de représentations symboliques : avant même de le voir et de le toucher, penser à un cheval suscite des émotions.
Dans quelles situations utilisez-vous le cheval ?
En coaching individuel ou collectif, en supervision individuelle ou collective. Un exemple : pour faciliter le démarrage d’une équipe autour d’une mission, comme une métaphore animée, le cheval peut prendre le rôle du projet ou d’un personnage. Avec une dualité, car il y a chez le cheval quelque chose de très puissant et de très vulnérable. Ce qui est paradoxal, car il suscite parfois de la peur alors que c’est lui qui est froussard ! Une autre approche est de faire des constellations avec eux, en attribuant des rôles à un ou plusieurs chevaux : on peut alors observer les réactions des chevaux, être à l’écoute des ressentis et en tirer des hypothèses sur la situation.
Et comment concrètement cela se passe ?
J’habite en lisière de forêt au milieu d’espaces où les chevaux peuvent circuler en liberté. Après avoir posé un cadre permettant d’interagir avec eux en toute sécurité, je propose aux personnes de «poser» le mental, d’ouvrir leur propres capteurs sensoriels et d’entrer progressivement en relation avec les chevaux. C’est comme si on utilisait une loupe en observant dans le détail les interactions qui se jouent : la façon dont on entre en relation avec le cheval traduit comment on entre en relation avec les personnes.
Pouvez-vous raconter des choses surprenantes concernant le coaching avec un cheval ?
Premier cas : une coache en supervision qui dit avoir du mal à « faire bouger » sa cliente. Elle rentre dans la
carrière, espace de travail, en tenant par une longe le cheval qui représente sa cliente. Un deuxième cheval
entre dans l’enclos, dont elle a laissé la barrière ouverte, et s’interpose entre elle et « sa cliente ». Ce qu’elle pense de ce deuxième cheval ? Il lui fait penser au N+1 de sa cliente qui reste omniprésent par ses questions sur l’avancement du coaching, ce qui fait qu’elle se sent déconnectée de sa cliente. Je fais remarquer qu’elle a laissé la barrière ouverte… Elle a un déclic : par manque de cadre, le manager s’est invité dans le processus.
Deuxième cas : le coaching d’une équipe projet de 5 personnes. Le cheval représente le projet. Le directeur et son adjoint disposent l’équipe sur le terrain, puis font bouger le cheval, satisfaits de constater l’avancement du projet. Réaction du reste de l’équipe : ils sont restés à l’écart, en s’ennuyant, sans vraie valeur ajoutée. Les managers se sont centrés sur le projet et pas sur l’équipe. Ils refont l’exercice différemment : les managers observent l’équipe faire collectivement progresser le projet – le cheval – avec plaisir et efficacité. Ce nouvel exercice permet un échange sur la place de chacun dans le projet : comment mieux exploiter et combiner les compétences, comment mieux utiliser les temps pour grandir ensemble ?
Quelle est la qualité première d’un coach ?
La posture, compétence n°2 selon ICF, qui est une spécificité au coach. Dans ma 1ère partie de carrière, j’ai développé une expertise méthodologique et managériale. J’ai dû faire du chemin pour développer mon sens de l’accueil, abandonner le jugement, ouvrir tous mes capteurs, être présente « ici et maintenant », bref devenir cheval ! Par ailleurs, c’est un animal grégaire qui va toujours à la recherche d’une nouvelle opportunité de relation, car depuis la nuit des temps, c’est ce qui lui permet de survivre face au danger : il tire sa puissance de sa sensibilité et de son sens de la relation.
Un coaching réussi, c’est quoi pour vous ?
Le client est autonome, il se sent fort et serein : il est confiant car il sait comment apprendre des prochaines situations qu’il va rencontrer. Le coaching amène à s’accepter et transformer sa vulnérabilité en opportunité. Se connaître et se mettre en paix avec soi-même, c’est pouvoir se donner un nouveau départ et choisir son chemin.
Vous parlez souvent d’envie, d’énergie, pouvez-vous en dire plus ?
Envie peut s’écrire aussi « en vie » car c’est une énergie vitale, qui nous fait bouger. L’envie est une énergie connectée au plaisir, souvent traceur de talent : ce que l’on fait dans le plaisir, on le fait souvent très bien et sans effort. L’énergie, c’est le moteur même du coaching. La question d’entrée, quand une équipe est bloquée pour une raison quelconque, est de savoir où est passée l’énergie, car c’est elle qui va lui permettre de sortir de l’équilibre insatisfaisant où elle se trouve et imaginer que les choses se passent autrement. L’énergie est issue de la polarité entre des pôles apparemment opposés : le coaching nous permet d’explorer et de tirer de la puissance de ces dualités ombre/lumière,
tension/apaisement, échec/réussite…
Pouvez-vous nous parler de vos activités dans le système hospitalier ?
Depuis 15 ans les organisations hospitalières sont des clients importants pour moi, en quête de performance et avec une mission vitale au service de personnes en situation fragile : j’y ai rencontré des personnes admirables qui font preuve de beaucoup d’engagement et d’humanité. Ce sont des systèmes très complexes soumis à des enjeux contradictoires et à la rencontre de profils humains très différents avec les médecins, les soignants, les administratifs et bien sûr les patients et leurs proches. Une partie de moi est très méthode et performance alors qu’une autre est dans la relation, le subtil, le champ énergétique. J’aime conjuguer le rationnel et le relationnel. Dans les hôpitaux, il y a cette dualité.
Vous avez eu de nombreuses responsabilités à l’ICF, puis au SIMACS ?
Depuis 2009, j’ai été membre pour ICF France des comités déontologie et professionnalisation, et administratrice pendant 5 ans en tant que secrétaire générale, puis présidente. Actuellement, je suis secrétaire générale du SIMACS, au sein duquel je représente le Syndicat des Professionnels de l’Accompagnement Avec les Chevaux. J’ai à cœur de défendre nos métiers dont je mesure chaque jour la puissance bienfaisante lorsqu’ils sont assurés avec éthique et professionnalisme.
Quels sont vos envies pour les accompagnements à venir ?
Je souhaite continuer à inviter la nature dans mes accompagnements. Elle nous démontre la force de la diversité dans le collectif. Par ailleur, je suis toujours touchée de voir qu’avec des outils très simples, comme la communication non violente, on peut dénouer des tensions et faire renaître la relation. Les chevaux sont des maîtres en la matière et avec grand cœur, ils nous offrent des moments d’ancrage forts dont on se souvient longtemps…
Le mot de la fin…
Pour moi, être coach, c’est l’espace d’un moment, devenir cheval !
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